Mémoire prébudgétaire adressé par le

Front des artistes canadiens / Canadian Artists’ Representation

au Comité permanent des Finances


Mémoire prébudgétaire 2012 du CARFAC
au Comité permanent des finances

Le Front des artistes canadiens / Canadian Artists’ Representation (CARFAC) a l’honneur de présenter son mémoire au Comité permanent des finances dans le cadre des consultations prébudgétaires 2012, et est heureux de formuler ses recommandations à l’intention du comité à Ottawa.

Le CARFAC est l’association nationale des artistes visuels et médiatiques professionnels du Canada. En tant qu’association à but non lucratif et organisation nationale au service des arts, notre mandat est de promouvoir les arts visuels au Canada, de favoriser un climat socio-économique propice aux arts visuels au Canada et de mener des recherches et de s’investir dans l’éducation du public à ces fins. Le CARFAC a été créé par des artistes en 1968 et de par sa certification en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste, il représente tous les artistes visuels et médiatiques du Canada, qui sont au nombre de plus de 17 000 et compte environ 4 000 membres actifs.

Résumé analytique

La relance de l’économie au Canada et la pérennité des emplois sont des questions qui occupent l’esprit de tous les Canadiens, et le soutien stable et permanent du secteur culturel revêt une importance cruciale pour cette équation. Il existe suffisamment de preuves pour démontrer que les collectivités qui offrent des possibilités culturelles stimulent la croissance économique et que l’industrie offre un grand nombre d’emplois à faible prix. Lors d’une récente conférence de presse, le ministre des Finances, M. James Flaherty a déclaré : « Le gouvernement reconnaît que les arts et la culture sont d’importants facteurs de croissance économique, d’emplois et de richesse dans nos collectivités […] [et] le fait d’appuyer la culture canadienne contribue à stimuler l’économie canadienne. » Cette déclaration reconnaît que les investissements publics dans les arts ont un excellent taux de rendement, puisqu’ils stipulent l’activité économique, qu’ils revigorent les collectivités et qu’ils donnent un sentiment d’appartenance à la collectivité à d’innombrables Canadiens.

Le CARFAC formule les recommandations suivantes à l’intention du Comité permanent des finances de la Chambre des communes :

Recommandation no 1 :

Continuer à appuyer le secteur culturel et à soutenir l’économie de la création par des investissements stratégiques permanents dans le Conseil des arts du Canada.

Recommandation no 2 :

Trouver des moyens de mieux intégrer les arts et la culture dans les initiatives de politique étrangère, notamment en renouvelant le financement du développement des marchés étrangers.

Recommandation no 3 :

Adopter un régime d’étalement du revenu sur les années suivantes qui permettra aux artistes qui sont des travailleurs autonomes d’établir la moyenne de leurs gains sur cinq ans.

Assurer la relance durable de l’économie du Canada par l’entremise des arts

Un investissement dans les arts contribue à optimiser les ressources. Selon le Conference Board du Canada, pour chaque dollar de PIB réel à valeur ajoutée produit par les industries culturelles du Canada, environ 1,84 $ vient s’ajouter au PIB réel global. En 2007, la contribution économique du secteur culturel s’est chiffrée à un peu plus de 84 milliards de dollars, soit 7,4 % du PIB du Canada[1]. Le secteur des arts visuels en particulier a eu des retombées directes d’un milliard de dollars sur l’économie du Canada en 2003, lesquelles se sont sans doute multipliées au cours des huit dernières années. À titre d’exemple, le festival Nuit Blanche de la Scotiabank en 2010 a attiré près de 159 000 visiteurs à Toronto pour un spectacle d’une nuit et a généré 34,7 millions de dollars pour le PIB de la ville (en contributions directes, indirectes et induites), 48,4 millions de dollars en dépenses directes (des visiteurs et d’exploitation); et a créé 611 nouveaux emplois[2].

De puissantes infrastructures artistiques favorisent un environnement qui stimule la croissance dans d’autres secteurs de l’économie. Les activités culturelles engendrent d’importantes dépenses de consommation, non seulement pour leur propre industrie, mais également des dépenses indirectes dans l’industrie touristique, par exemple, lesquelles à leur tour font augmenter les revenus d’emploi et les recettes fiscales. Selon Statistique Canada, les activités culturelles ont attiré à Toronto en 2009 près de quatre fois plus de touristes que les manifestations sportives, et plus de deux fois plus de visiteurs que les parcs[3]. Il faut néanmoins signaler que même si le financement des arts engendre des recettes pour l’économie dans son ensemble, les coûts de production des spectacles artistiques sont souvent plus élevés que les bénéfices qu’engrangent les industries culturelles, et c’est pourquoi des investissements publics sont nécessaires.

Des érudits comme Richard Florida et Charles Landry sont d’avis que la main-d’œuvre qualifiée et les investissements des entreprises ont lieu dans les lieux où se regroupent des esprits créateurs. Les villes qui regorgent de ressources culturelles sont « les hauts lieux de créativité », des générateurs de richesse économique et des aimants qui attirent les talents dans tous les secteurs de l’économie[4]. Le Conference Board du Canada fait valoir en outre que : « les villes qui offrent une vie de grande qualité attirent et retiennent les entreprises et les travailleurs des domaines à forte intensité de savoir et de grande créativité »[5].

Si l’on veut que les industries culturelles prospèrent, elles doivent être suffisamment appuyées par des investissements publics et privés. On a la preuve par des organisations artistiques aussi fructueuses que le Festival de Stratford ou le Festival international des films de Toronto, qu’à mesure que ces organismes prennent de l’essor et de la maturité, ils sont en meilleure posture pour mobiliser davantage d’investissements privés importants[6]. En 2005, les consommateurs canadiens ont consacré 25,1 milliards de dollars aux biens et services culturels, par rapport à 7,7 milliards de dollars dépensés par tous les ordres de gouvernement cette même année[7].

Investir dans le marché de la population active du secteur culturel

Les industries culturelles emploient un fort pourcentage de Canadiens : le secteur culturel dans son ensemble employait 616 000 personnes directement en 2003, soit 3,9 % de la population active globale. Cela représente le double du niveau d’emploi dans le secteur forestier (300 000) et plus du double du taux d’emploi dans les banques canadiennes (257 000). Plus de 1,1 million de personnes étaient employées indirectement par le secteur, si l’on en croit les données de 2007[8]. Si l’on tient compte de toutes les disciplines, le nombre d’artistes (140 040) est légèrement plus élevé que le nombre de Canadiens qui travaillent directement dans le secteur automobile (135 000)[9] et représente 0,8 % de la population active canadienne dans son ensemble. Les professions d’ordre culturel dépassent les emplois dans les secteurs des pêches, des forêts, de l’exploitation minière ou de l’enseignement[10].

Les coûts de création d’emplois dans le secteur des arts et de la culture sont parmi les plus bas quand on les compare aux autres secteurs de l’économie. La création d’un nouvel emploi dans le secteur culturel coûte entre 20 000 et 30 000 $, contre 100 000 $ dans l’industrie légère ou 200 000 $ dans l’industrie lourde[11]. Les réductions opérées dans les organisations artistiques se traduiront par d’importantes suppressions d’emplois pour un secteur important, encore que relativement fragile. La plupart des organisations artistiques ont des budgets de fonctionnement limités, et même la plus infime des réductions peut avoir des effets dévastateurs sur les organismes qui n’ont déjà que la peau sur les os.

Le nombre d’artistes visuels au Canada a augmenté de 56 % depuis 1991, alors que leurs revenus sont nettement inférieurs à ceux du secteur culturel et de la population active canadienne dans son ensemble. Les artistes visuels gagnent 61 % de moins qu’un travailleur canadien moyen, avec des gains moyens de 13 976 $, si l’on en croit les données du recensement de 2006[12]. Et ce, en dépit du fait que 41 % des artistes sont titulaires d’un grade, d’un certificat ou d’un diplôme universitaire – soit le double du taux de la population active dans son ensemble[13].

Cela s’explique en partie par le fait que 65 % (11 035) des artistes visuels sont des travailleurs indépendants. Le revenu d’un artiste visuel travailleur indépendant peut fluctuer radicalement d’une année à l’autre. Les occasions d’exposer et de vendre leurs œuvres se présentent souvent en grappes tandis que les artistes terminent un projet ou une série d’œuvres qui suscitent l’intérêt du public. Une bonne année peut être suivie de plusieurs années de vaches maigres ou sans le moindre revenu tandis que l’artiste travaille à de nouveaux projets. Sans postes supplémentaires à long terme, il est rare que les artistes soient en mesure de toucher un revenu durable et prévisible. L’augmentation des investissements dans des programmes qui viennent en aide aux artistes ainsi qu’une réforme fiscale avantageuse qui tient compte de leurs conditions de travail exceptionnelles contribueront dans une large mesure à alléger les pressions financières qui s’exercent sur ces créateurs qui sont des travailleurs indépendants mal rémunérés.

Recommandation no 1 :

Continuer à appuyer le secteur culturel et à soutenir l’économie de la création par des investissements stratégiques permanents dans le Conseil des arts du Canada.

Il est largement admis que le Conseil des arts du Canada est un organisme exemplaire qui offre des occasions inestimables aux artistes de créer des œuvres et de les exposer. Depuis plus de 50 ans, le Conseil des arts a investi dans des artistes et des organismes artistiques, enrichissant l’existence des Canadiens en leur donnant accès par divers moyens à notre culture et à notre histoire. En 2009‐2010, le Conseil a attribué 158 millions de dollars à plus de 4 400 artistes et organismes artistiques répartis dans 689 localités du Canada[14]. En 2007, le gouvernement fédéral a reconnu le rôle inestimable du Conseil en lui octroyant une augmentation permanente de 30 millions de dollars.

En 2009, le Conseil des arts du Canada a subi un Examen stratégique, et dans le budget fédéral de 2010, on a appris que « ses programmes sont en phase avec les besoins des Canadiens »[15]. En vertu de ce processus, tous les programmes du Conseil ont été jugés « efficaces et rentables, respectant les priorités des Canadiens et concordant avec les responsabilités essentielles du fédéral, le financement étant accordé aux programmes qui revêtent une priorité essentielle pour les Canadiens, lesquels donnent des résultats pour tous les Canadiens »[16]. Cela fait suite aux points de vue exprimés par le Vérificateur général, qui a établi en 2008 que les processus du Conseil « ne souffraient pas de carences importantes [et que] les systèmes et pratiques du Conseil des arts du Canada ont contribué à son succès dans plusieurs secteurs »[17].

Le secteur culturel convient que le Conseil des arts du Canada deviendra un organisme de plus en plus dynamique avec un budget de 300 millions de dollars. À son niveau de financement actuel, plus de la moitié des demandes dont un jury recommande le financement pour financer un projet sont rejetées, car il n’y a pas suffisamment d’argent pour y donner suite. Nous savons bien que ce type de croissance prend du temps, et avons recommandé au préalable que son budget soit majoré de 30 millions de dollars par an jusqu’à ce que ce but soit atteint. Toutefois, nous croyons également savoir que de nombreux ministères du gouvernement fédéral font l’objet d’un examen en vue de compressions financières, le Conseil des arts du Canada faisant partie de ces organismes.

Une baisse du financement des organismes artistiques provoquera une réaction en chaîne et il sera de plus en plus difficile de solliciter des fonds auprès des conseils des arts des régions et des commanditaires privés. La plupart des organismes sont tenus de recevoir des fonds de contrepartie de tous les ordres de gouvernement, pour réussir. Ainsi, si un niveau de financement est réduit, cela rend un organisme moins concurrentiel par rapport aux organismes d’autres provinces dont le financement n’a pas été amputé. Si les dépenses publiques sont comprimées à tous les échelons, les investisseurs privés ont eux aussi peu de chances de prendre un engagement, et le potentiel de déclenchement de conséquences économiques positives pour le secteur disparaît en même temps.

Des coupures opérées dans le budget du Conseil des arts du Canada auront des effets préjudiciables considérables sur les artistes. Toute autre réduction signifie que d’autres projets de grande qualité ne parviendront pas jusqu’à maturité, ce qui compromettra encore plus la capacité des artistes à créer de la valeur dans leurs localités. Il est difficile de juger de l’impact d’un moins grand nombre de subventions octroyées aux artistes, lorsqu’un très faible pourcentage de demandes sont acceptées en premier lieu, alors qu’une diminution des fonds aboutit à moins de travail et qu’un plus grand nombre d’artistes créent de nouvelles œuvres en essuyant des pertes financières plus importantes.

Recommandation no 2 :

Trouver des moyens de mieux intégrer les arts et la culture dans les initiatives de politique étrangère, notamment en renouvelant le financement du développement des marchés étrangers.

Si le Canada veut consolider la place qu’il occupe sur la scène internationale, il a besoin de plus d’occasions d’exporter ses produits culturels et de développer des marchés étrangers pour y écouler l’art canadien. On estime qu’en 2006, les exportations d’art visuel canadien à lui seul se sont chiffrées à 73 millions de dollars, et que ce chiffre pourra uniquement augmenter moyennant une aide supplémentaire. Le soutien du gouvernement fédéral permet aux galeries publiques et privées de promouvoir l’art canadien à l’étranger, en offrant aux artistes des possibilités de voyager et de faire connaître au monde ce qu’ils font. Cette plus grande exposition se traduit par une amélioration des rapports, une hausse des occasions qui s’offrent aux artistes d’exposer et de vendre leurs œuvres et un regain d’intérêt dans le Canada comme pays culturel et artistique, ce qui stimule également le tourisme et le commerce international.

En 2008, d’importants montants ont été amputés de programmes dont le but était de diffuser l’art canadien, au Canada comme à l’étranger, principalement les programmes Routes commerciales et PromArts. Alors que ces programmes n’ont pas été remplacés, le besoin et la demande d’exporter l’art canadien n’ont nullement disparu. Il est fondamentalement important que l’art canadien soit mieux connu et encouragé à l’étranger, soit en réinvestissant dans de nouveaux programmes qui appuient le secteur culturel soit en participant plus intensément aux programmes actuellement en place, pour que d’autres pays puissent mieux comprendre notre pays et sa culture.

Recommandation no 3 :

Adopter un régime d’étalement du revenu sur les années suivantes qui permettra aux artistes qui sont des travailleurs autonomes d’établir la moyenne de leurs gains sur cinq ans.

Les artistes travaillent souvent dans des conditions variables d’une année à l’autre. Il est difficile de savoir combien d’expositions les artistes visuels pourront avoir, combien d’œuvres ils pourront vendre au cours d’une année ou si une commission ou un poste de professeur leur deviendra accessible. Le régime traditionnel d’imposition fiscale annuelle ne convient donc pas à la plupart des artistes pour cette raison même.

L’étalement du revenu sur plusieurs années permet aux artistes d’établir la moyenne de leurs gains sur une certaine période de temps, comme c’est le cas au Québec. En 2004, le Québec a adopté une disposition sur l’étalement du revenu des artistes vivant dans la province, ce qui permet aux artistes indépendants d’acheter des rentes à versements invariables et d’étaler l’impôt perçu sur le revenu jusqu’à un certain montant sur plusieurs années. L’étalement des revenus sur plusieurs années est une formule qui existe en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, en Grèce, en France, au Royaume-Uni, en Australie et au Luxembourg. Les Canadiens ont bénéficié de l’étalement des revenus sur plusieurs années jusqu’en 1988, année où la formule a été abandonnée lorsqu’on a modifié les tranches d’imposition.

Des stimulants comme l’étalement des revenus offrent aux artistes une certaine équité fiscale par rapport à d’autres travailleurs indépendants, et leur permet d’égaliser et de stabiliser leurs niveaux de revenu d’une année sur l’autre, comme c’est le cas d’autres professionnels. Les artistes souffrent actuellement d’un désavantage fiscal – puisqu’ils paient des impôts à un taux supérieur les bonnes années, même si le revenu gagné doit les faire vivre les années suivantes. Le fait d’autoriser les artistes à payer des impôts en fonction d’un revenu moyen qu’ils gagnent sur plusieurs années permettra de remédier à cette iniquité et allégera le fardeau financier des artistes. Notre recommandation met les artistes sur un pied d’égalité avec d’autres travailleurs indépendants, au lieu de leur accorder un traitement de faveur.



[1] Conference Board du Canada, Valuing Culture: Measuring and Understanding Canada’s Creative Economy, août 2008.

[2] Étude du ministère du Tourisme de l’Ontario, l’impact économique de Nuit Blanche 2010 à Toronto en 2010, nov. 2010.

[3] Statistique Canada, Enquête sur les voyages internationaux et Enquête sur les voyages des résidents du Canada, 2009.

[4] Conference Board du Canada.

[5] Ibid.

[6] Business for the Arts, A strategic and economic businesscase for private and public sector investment in the arts in Canada, 2009.

[7] Conference Board du Canada

[8] Ibid.

[9] Ce chiffre du secteur automobile provient du Syndicat canadien des travailleurs et travailleuses de l’automobile, mentionné dans un article paru le 13 novembre 2008 à la CBC et intitulé A timeline of auto sector layoffs.

[10] Conseil des ressources humaines du secteur culturel, Miser sur le succès, 2004.

[11] Conférence des arts du Canada, Statistiques utiles, 2005.

[12] Hill Strategies, A Statistical Profile of Artists in Canada Based on the 2006 Census, 2009.

[13] Conference Board du Canada.

[14] Examen stratégique du Conseil des arts du Canada, 2011‐2016.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Ibid.